Les compagnons de la Libération : Romain Gary

Romain Gary (1914-1980).

Né Roman Kacew, le 21 mai 1914 à Vilna dans l'Empire russe (actuelle Vilnius en Lituanie). Lorsque son père Arieh-Leib Kacew divorce, Roman et sa mère s’installent à Varsovie en 1926. Il fréquente alors l’école polonaise et y prend des cours de français. En 1928, ils émigrent en France ou sa mère va gérer un hôtel à Nice. Roman poursuit alors ses études au lycée fortement encouragé par sa mère (juive ashkénaze) qui place en lui de grandes ambitions.

Bachelier en 1933, il entame sans conviction des études de droit à Aix-en-Provence, il poursuit ses études à Paris en 1934, vivant pauvrement, et publiant deux nouvelles dans « Gringoire » (hebdomadaire politique et littéraire). Naturalisé français en 1935, il s’inscrit à une préparation militaire supérieure et en 1939 il est breveté mitrailleur. En 1940, son école est repliée à la base de Bordeaux-Mérignac. Refusant la défaite de la France, il décide de s’engager dans la France libre qu’il rejoint le 8 août 1940. Il est promu adjudant et il est affecté à l’escadrille de Bombardement TOPIC. A la mi-octobre 1940, il part pour l’Afrique et prend le pseudonyme de Romain Gary.

En avril 1941, il est breveté observateur en avion et devient officier. En janvier 1943, il retourne en Grande Bretagne ou son groupe, le groupe de Bombardement « Lorraine » est chargé de bombarder les installations militaires et les usines en France. C’est dans ses conditions que Romain Gary se distingue en 1944 où il guide son pilote, gravement touché aux yeux. Il est promu capitaine après avoir effectué 25 missions offensives en totalisant plus de 65 heures de vol de guerre.

Une fois démobilisé, il entre dans la carrière diplomatique et publie Education Européenne son premier succès littéraire. Il devient Consul de France à Los Angeles en 1956, tout en continuant à écrire, il y reçoit d’ailleurs cette année-là le prix Goncourt pour Les racines du ciel. En 1975, il devient le seul écrivain doublement récompensé au Goncourt pour La vie devant soi qu’il a écrit sous le pseudonyme d’Emile Ajar. Il se suicide le 2 décembre 1980.

Commandeur de la Légion d'Honneur.  Compagnon de la Libération - décret du 20 novembre 1944. Croix de Guerre 39/45 (2 citations). Médaille Coloniale avec agrafe « Koufra-Erythrée ».  Médaille des Blessés

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Romain Gary, le fils prodigue.

Romain Gary a toujours été très proche de sa mère, Mina Owczyńska, une femme à la forte personnalité qui l’a élevé seule. Depuis que Romain Gary est enfant, sa mère est persuadée qu’il est destiné à accomplir de grandes choses. Elle a en lui une foi inébranlable, ce qui pour un enfant peut se révéler à la fois gratifiant mais aussi inhibant, en tout cas embarrassant quand cette fierté maternelle s’exprime en public, comme c’est le cas ici.

Cette planche essaie de résumer la nature des relations entre Romain Gary et sa mère. Elle vient le voir à la base de Bordeaux-Mérignac où il est stationné au début de la Seconde Guerre mondiale : il est à la fois content de la voir, mais aussi terriblement gêné qu’elle débarque ainsi dans le mess où il prend son repas avec ses camarades.

Il devient effectivement la risée de ceux-ci, qui se moquent des manifestations très démonstratives d’amour maternel déployées par Mina.

 


Titulaire d’une préparation militaire supérieure, Romain Gary, licencié en Droit désire embrasser le métier de armes. Il fait son service militaire dans l’armée de l’Air à Salon de Provence en 1938. 

Puis il est envoyé à l’école de l’Air d’Arvord dans le Cher, comme élève observateur. Breveté mitrailleur en avril 1939, il sera le seul de sa promotion à ne pas être nommé officier en raison de ses origines étrangères. 

Il devient alors instructeur de tir à Arvord avant que l’école ne soit repliée à Bordeaux en juin 1940, devant l’avancée des Allemands. 

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Les rendez-vous manqués.

Cette planche, est destinée à illustrer l’une des idées qui sert de fil directeur au scénario : Romain Gary brûle de combattre l’ennemi, mais il arrive toujours après la bataille ! Après l’armistice du 22 juin 1940, il a pourtant réussi à quitter la France et à gagner le Maroc, pensant – à juste titre d’ailleurs – que le combat allait continuer depuis les colonies, mais quand il atterrit à Meknès, c’est pour apprendre que le résident général du Maroc a reconnu la défaite de la France.

Dans le Maroc colonial du début de l’été 1940, la vie continue comme si de rien n’était, et la guerre semble à mille lieues des préoccupations ordinaires des habitants. Pour ne pas décevoir sa mère qui l’imagine au cœur du combat, il lui écrit en travestissant la réalité, afin de conserver, au moins aux yeux maternels, le statut de héros qu’il s’était imaginé endosser dès le début de la guerre.

 


Protectorat Français de 1912-1956, le Maroc est géré par le résident général de France au Maroc, qui est le représentant officiel du gouvernement français à Rabat. 

C’est le général Charles Noguès, qui est résident général de 1936 à 1943. Le Maroc est alors sous le régime de Vichy, et n’est pas occupé par les allemands qui sont plus concentrés en Lybie et en Tunisie, d’où une certaine douceur de vivre comparé à la moitié de la métropole sous occupation allemande.

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L’arrivée en Grande-Bretagne.

Il s’agit d’évoquer dans cette planche les relations compliquées entre la France et la Grande-Bretagne au début du second conflit mondial.

Alliés en 1939 pour combattre l’Allemagne nazie, les deux pays se retrouvent divisés à partir de la fin juin 1940 : la France vaincue a accepté de signer un armistice séparé avec les Allemands, alors que la Grande-Bretagne continue le combat et accueille la France libre du général de Gaulle qui n’a pas voulu capituler lui non plus.

Pour le régime de Vichy qui se met en place en juillet 1940, l’ennemi désormais, ce n’est plus l’Allemagne, mais l’Angleterre. D’autant plus que le 3 juillet 1940, les Britanniques ont détruit une grande partie de la flotte française stationnée dans la rade de Mers el-Kébir (dans le golfe d’Oran), pour éviter qu’elle ne tombe aux mains des Allemands.

Cet épisode a déclenché côté français une anglophobie à laquelle Romain Gary a lui-même failli succomber, avant de réaliser que la Grande-Bretagne était le seul pays à continuer la lutte. En débarquant en Écosse fin juillet 1940, Gary ne peut pas s’empêcher néanmoins de faire une allusion ironique à Mers-el-Kébir…

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Romain Gary l’écrivain.

A l’automne 1940, Romain Gary part pour l’Afrique noire, où il espère enfin combattre. Pour le général de Gaulle comme pour tous ceux qui refusent d’abdiquer face à l’ennemi, le terrain colonial, notamment africain, est primordial : la France libre va conquérir progressivement une grande partie de l’Empire colonial français, et les Britanniques vont eux aussi combattre l’Italie fasciste et l’Allemagne nazie à partir de leurs possessions coloniales africaines.

Romain Gary embarque donc à bord de l’Arundle Castle en octobre 1940. Cette planche montre qu’en dépit de sa volonté de se battre, Gary reste également fidèle aux espoirs que sa mère a placés en lui : or elle l’imagine devenir prix Nobel de littérature ! Romain Gary a commencé à écrire avant la guerre, certaines de ses nouvelles ont été publiées dans des journaux et revues.

Pendant toute la durée du conflit, dès qu’il a un moment, il continue à écrire, comme on le voit ici. Cette activité, si peu commune pour un soldat, lui vaut l’ironie de ses camarades, mais débouchera néanmoins sur la publication en 1945 de son premier roman, rédigé pendant le conflit : "Éducation européenne".

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Les rendez-vous manqués.

Encore une fois, Romain Gary et ses camarades sont arrivés trop tard pour se battre. Quand ils atteignent enfin Fort-Lamy, au Tchad, au terme d’un voyage éprouvant, le fort est déserté, et tous les avions ont déjà décollé pour acheminer les soldats vers la bataille d’Ethiopie qui bat alors son plein. Gary et l’un de ses amis arrivent à se faire convoyer jusqu’à une autre base française au sud de Khartoum, mais elle aussi est quasi-déserte, et ils y apprennent de plus que la campagne d’Ethiopie est terminée. 

Gary est dépité, et se compare à Fabrice del Dongo, le héros de La Chartreuse de Parme de Stendhal.
On trouve ainsi dans cette planche les deux fils directeurs de l’album : le combat sans cesse différé, qui est devenu à ce stade du récit une sorte de running gag, et l’amour de Gary pour la littérature, qui annonce son statut de futur grand écrivain. Baigné par la lecture dès son plus jeune âge, Gary ne peut pas s’empêcher, même au cœur de la guerre, de faire un parallèle entre sa situation et celle des grands héros de la littérature.

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L’hôpital.

En décembre 1941, comme beaucoup de combattants, Romain Gary se retrouve à l’hôpital. 

Mais lui n’y est pas à cause d’une blessure de guerre : il a été terrassé par la fièvre typhoïde, qu’il a attrapée au Tchad en buvant l’eau du Chari, lorsqu’il a descendu le fleuve en bateau, depuis Fort-Archambault (aujourd’hui Sahr) jusqu’à Fort-Lamy (aujourd’hui N’Djamena). La typhoïde résulte en effet de l’ingestion d’eau ou d’aliments souillés par une bactérie du genre des salmonelles. 

La maladie se caractérise par des céphalées et une très forte fièvre qui peut mener jusqu’au délire, comme le montre cette planche : alors qu’il est donné pour mort, Gary se réveille et quitte brutalement son lit, dans une sorte de crise de somnambulisme au cours de laquelle il profère des paroles délirantes.

Cette scène est aussi une façon de montrer le puissant instinct de survie de Gary : même profondément affaibli par la maladie, il refuse de mourir avant d’avoir combattu.

 


Fin 1941, gravement atteint par le typhus, Romain Gary va être hospitalisé plusieurs mois. Une fois rétabli, il sert à l’état-major des FAFL (Forces Aériennes de la Français Libre) au Moyen-Orient.

En août 1942, il retrouve l’escadrille Nancy du groupe Lorraine. En janvier 1943, le groupe Lorraine est transféré en Grande-Bretagne afin de participer aux opérations en France.

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Danger dans le ciel.

Cette planche met en scène les bombardements aériens de la Seconde Guerre mondiale. 

C’est pendant le premier conflit mondial que l’aviation a commencé à être utilisée à des fins militaires, mais son usage était alors limité à des missions de reconnaissance des lignes ennemies, et les bombardements aériens ont été peu nombreux. Ils deviennent au contraire monnaie courante pendant le second conflit mondial, et sont utilisés par les deux camps, à l’encontre aussi bien des civils que des militaires.

Romain Gary va ainsi réchapper de peu à un bombardement aérien. Après bien des péripéties, et une première expérience du combat en Méditerranée orientale, Romain Gary retourne en Grande-Bretagne pour y poursuivre la guerre. Son bateau fait partie d’un convoi de trois navires attaqué en pleine mer par des avions italiens.

On l’oublie en effet, mais les Italiens ont activement participé au second conflit mondial, combattant les Alliés sur terre, en mer et dans les airs. Deux des bateaux sont touchés et coulés, seul celui de Gary échappant à l’hécatombe. Cela montre aussi que pour traverser la guerre sans être blessé ou tué, il faut aussi une part de chance.

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Le retour en France.

L’album se termine sur une dernière planche marquée, comme la première, par la figure de la mère de Romain Gary. Ce qui permet en quelque sorte de « boucler la boucle ». Il s’agit d’une scène inventée : Gary est sans doute allé se recueillir sur la tombe de sa mère à son retour de la guerre, mais il n’en a pas laissé de témoignage.

Dans son ouvrage autobiographique "La promesse de l’aube", il raconte que c’est seulement en revenant à Nice en 1945 qu’il a appris que sa mère était morte en 1941 : celle-ci aurait écrit à l’avance des dizaines de lettres à son fils, et chargé une amie de continuer à les envoyer à Romain après sa mort. C’est sans doute une histoire trop belle ou trop triste pour être vraie, mais elle cadre bien avec la personnalité de Mina Owczyńska telle que l’a décrite Gary, et elle illustre la force du lien qui unissait mère et fils.

L’album se clôt donc sur une scène mélancolique – une visite au cimetière – mais elle annonce en même temps l’avenir : dans la dernière case de cette planche, qui est aussi la dernière de l’album, Romain Gary marche vers son destin de diplomate et de grand écrivain, précisément celui dont sa mère avait rêvé pour lui…

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