Les compagnons de la Libération : Philippe Kieffer

Philippe Kieffer (1899-1962).

Né le 24 octobre 1899 à Port-au-Prince (Haïti), d’un père alsacien, professeur de mathématiques devenu négociant, et d’une mère écossaise. En 1910, il est envoyé au collège chez les jésuites dans l'île de Jersey. De retour à Haïti en 1916, il suit des cours de commerce par correspondance à l’université de Chicago.

Après un an d’expérience dans une compagnie de chemin de fer, il devient agent de change en 1919, pour une banque américaine à Haïti, alors en plein développement financier. En 1921, il entre à la City Bank of New-York qui vient de racheter la banque nationale de la République d’Haïti. Il en devient directeur-adjoint dans les années 30, en même temps que secrétaire de la chambre de commerce de Port-au-Prince. Il se marie et à deux enfants, il divorce en 1933, sa femme part en France avec les enfants.

Début 1939, pour se rapprocher de ses enfants, il démissionne et s’installe en France, à Paris puis à Bordeaux. Il est mobilisé dans l’armée de terre, mais il passe dans la marine et devient Quartier-maître (caporal) interprète à l’état-major de la Marine à Cherbourg. Le 18 juin 1940, il gagne Londres et s’engage dans les FNFL (Forces Navales Françaises Libre) le jour de leur création le 1er juillet 1940.

Rapidement nommé officier, il est professeur d’anglais de l’école navale, en plus d’être officier de liaison avec les britanniques. Ayant soif d’action, il fait un stage en août 1941 d’officier fusiller-marin chez les Royal Marines. Breveté commando, il persuade l’amiral Muselier (chef des FAFL), de créer un groupe de commando Français.

En décembre 1941, il créé sa compagnie de commando dont il assure lui-même la formation. Le 8 octobre 1943, le 1er bataillon de fusiliers-marins commando (1er BFMC) est créé. Le 6 juin 1944, ses efforts sont récompensés, les 177 bérets-verts du commando, vont être les seul Français à participer au débarquement.

Le 6 juin, les 177 commandos débarquent à Ouistreham, accusant 25% de pertes dès la première journée, blessé le 6 juin Kieffer refusera de se faire évacuer et ne se fera soigner que deux jours plus tard.

Commandeur de la Légion d'Honneur.  Compagnon de la Libération - décret du 28 août 1944. Croix de Guerre 39/45 (5 citations). Military Cross (GB). British Empire Medal (GB).

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L’engagement.

Philippe Kieffer, banquier d’Haïti, président de la Chambre de commerce de Port-au-Prince, semblait ne pas être fait pour la voie des armes. Il n’avait même pas accompli son service militaire. Pourtant, lorsque la France entre en guerre, en septembre 1939, il s’engage dans la marine à l’âge de 40 ans. Le 18 juin – une date qui ne s’invente pas – il gagne Londres où il s’engage dans les Forces navales françaises libres, épouse Miss Amelia Winter qu’il avait rencontré à Paris au cours de l’été 1939. Le 5 mars 1941, en permission auprès de sa femme enceinte, il découvre aux actualités cinématographiques les exploits des commandos britanniques. 

Dès lors, il rêve d’intégrer cette unité spéciale. A force de patience et de persuasion, Kieffer parvient à convaincre ses interlocuteurs : il se fait admettre parmi les candidats au prestigieux béret vert. Mais à lui de montrer qu’il en est digne !

 


Créés en en juin 1940, les commandos britanniques sont formés de volontaires venant de tous les corps d’armée. Ce sont des troupes légères opérant par petites unités polyvalentes menant des actions de guérilla. Ils sont un corps à part, évitant ainsi une hiérarchie, qui les priverait de leurs actions peu conventionnelles.  

Leurs missions étaient uniquement sur un objectif précis qu’ils devaient remplir à tout prix, d’où des soldats aptes à tout, capables de remplacer le chef de groupe au pied levé en cas de perte de leur officier pour finir la mission quoi qu’il arrive.

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L’entraînement.

Le training commando est impitoyable. « De quoi crever un cheval », confessait Philippe Kieffer. Lever à 7h00, rassemblement à 7h30 pour l’inspection, puis c’est la gymnastique que les hommes doivent exécuter torse nu s’il fait froid et en chandail s’il fait chaud. 

On passe ensuite aux exercices pimentés de tirs à balles réelles : il faut savoir se hisser sur une corde en un temps record, neutraliser une sentinelle en combat rapproché, avec une arme blanche ou à mains nues, s’entraîner au tir. Et surtout à la marche rapide – la fameuse speed marche – de jour comme de nuit. 

Les commandos doivent savoir tout faire : maîtriser l’art du camouflage, construire un pont, poser un réseau téléphonique, etc. Ils sont à la fois fantassins, marins, artilleurs et ingénieurs par-dessus le marché.

 


Après une série d’entraînements très durs où seuls ceux qui réussissaient toutes les épreuves obtenaient le brevet (le droit de porter l’insigne et le béret vert). Ils pouvaient alors rejoindre les différentes unités opérationnelles (Royal Marines, SAS, LRDG…). 

À l’origine, ces volontaires provenaient principalement des compagnies d’infanterie des Royal Marines et les premiers raids commando étaient des opérations amphibies. Ce fût le cas pour « l’opération Frankton » par exemple qui se déroula du 7 au 12 décembre 1942. Un commando de 12 hommes descendant l’estuaire de la Gironde en Kayaks, afin de saboter les bateaux du port de Bordeaux. Deux survivants seulement à la fin de l’opération, ils se replieront à Ruffec (Charente) afin d’être pris en charge par le réseau « Marie-Claire » qui les rapatriera en Grande-Bretagne.  

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Une troupe française dans les commandos britanniques.

Créer un groupe de commandos français, tel est l’objectif de Kieffer. Malheureusement, l’affaire est compliquée et semée d’embuches. D’un côté les Britanniques sont trop fiers et trop jaloux de leurs soldats d’élite pour admettre des étrangers parmi eux, de l’autre les Forces françaises libres manquent cruellement d’hommes et ne veulent pas en engager dans une armée étrangère. 

Si les Britanniques comprennent l’intérêt de disposer d’hommes connaissant parfaitement les côtes françaises, l’amiral Muselier donne le feu vert à Kieffer sans lui accorder le moindre soutien. Qu’il se débrouille ! On ne lui donnera pas un homme, pas un sou. 

Son initiative est tout juste tolérée. Alors le « pacha » est obligé de courir les casernes pour pousser des Français libres à s’engager derrière lui. 

Au départ, le bilan est maigre : ils ne sont qu’une grosse quinzaine à le suivre, dont un tiers de punis qui préfèrent le commando au cabanon. C’est là le début de rumeurs injustes, affirmant qu’il n’y avait que des têtes brûlées derrière Kieffer. Non, ce n’étaient pas des fortes-têtes mais des durs à cuire, et il fallait que leur cuir soit épais vu l’entraînement qui leur était réservé.

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Plage de Sword, secteur queen red.

A la fin du mois de mai 1944, les commandos sont conduits dans des camps à proximité de la Manche. Quelques jours avant le débarquement, on leur remet les cartes précises des lieux qu’ils devront conquérir.

Le commando Kieffer devra ainsi débarquer à l’extrémité du secteur de queen red sur la plage de Sword dévolue aux forces britanniques. Tous les noms sont codés – Caen est ainsi appelé Singapour – mais un ancien employé du casino de Ouistreham reconnaît parfaitement les lieux. Ainsi, mis à part les grands chefs, les Français ont été les seuls à savoir où aurait lieu l’opération Overlord…

 


Le débarquement de Normandie, nom de code Overlord, va se dérouler du 6 juin au 29 août 1944. Il s’agit de la plus grosse opération logistique militaire de toute l’histoire puisqu’elle va permettre de débarquer plus de trois millions de soldats avec leur matériel et leurs véhicules.

150.000 soldats vont débarquer le « jour J » (6 juin 1944), dont les 177 français du commando Kieffer. 10 300 hommes seront tués ou blessés ce jour-là du côté allié face à une côte farouchement défendue par des allemands lourdement armés et protégés dans leurs bunkers. Pourtant dès le 7 juin les plages sont sous contrôle, le 11 juin Carentan et libérée, et le 26 juin les alliés prennent Cherbourg.

Les combats vont alors se poursuivre jusqu’à l’avancée sur Paris libérée le 25 août 1944. Le 1er septembre Dieppe est libéré, les alliés peuvent avancer vers l’Allemagne. 

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La nuit la plus courte.

Les 177 français du commando Kieffer embarquent en fin d’après-midi du 5 juin 1944 sur deux petites embarcations (des Landing Craft Infantry small) ballottées par une mer houleuse.

Certains dorment, d’autres sont malades, mais la nuit est courte : le réveil a lieu à 4 h 30 avec un formidable bombardement des côtes françaises. Après les bombardiers, la flotte ouvre le feu. Les obus passent au-dessus des embarcations des Français dans un fracas effroyable. Il est l’heure de monter dans les barges. Les hommes sont silencieux. 

Il est 7h31, le jour le plus long va commencer. Aujourd’hui commence la libération du pays.


Sword Beach est le nom donné à la plage attribuée à la Seconde armée britannique, pour le débarquement du 6 juin. Cette plage s'étend sur 8 km d’Ouistreham à Saint-Aubin-sur-Mer. Elle est divisée en 4 secteurs (Oboe, Peter, Queen et Roger).

 

Le 1er bataillon du South Lancashire Regiment, est le premier à débarquer dans la zone Queen White, il va subir les plus lourdes pertes.  La 1re brigade spéciale de Lord Lovat, comptant dans ses rangs le Commando no4 (les 177 fusiliers-marins français du commandant Philippe Kieffer), débarque à la suite et vont prendre Ouistreham à l’issue de combats de rues meurtriers.

Puis ils vont atteindre les ponts de Bénouville et Ranville et opèrent ainsi la jonction avec les parachutistes de la 6e aéroportée qui ont préalablement détruit les batteries de Merville et tiennent les ponts sur l’Orne. 

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La mémoire.

Longtemps ignorés, les exploits du commando Kieffer sont révélés aux français grâce au film américain Le jour le plus long. Le réalisateur Darryl Zanuck, y raconte de façon « hollywoodienne », la prise de Ouistreham. Philippe Kieffer, malade, assiste au tournage comme conseiller militaire. Il mourra à la fin de l’année 1962.

De Gaulle, qui en voulait aux Anglo-Saxons de l’avoir écarté de la préparation du débarquement, ne commémorait pas le 6 juin et refusait d’honorer ces soldats qui combattaient dans une armée étrangère. Il fallut donc attendre le 6 juin 1984 pour qu’un monument soit inauguré à Ouistreham par François Mitterrand en l’honneur des 177 français, et 2004 pour que les survivants du commando reçoivent la légion d’honneur. 

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